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Message d'une habitante de Fukushima
L'année 2025 a commencé avec une situation mondiale de plus en plus incertaine. Je voudrais d'abord remercier de tout cœur l'ensemble des personnes qui continuent de lutter partout dans le monde pour sortir du nucléaire.
L'été dernier, j'ai eu l'occasion de me rendre dans la zone dite "de retour difficile", c'est-à-dire la zone interdite d'habitation à cause d'un niveau élevé de radioactivité. L'hôpital où plus de 50 patients ont perdu la vie pendant leur évacuation en raison des conditions extrêmes, est maintenant recouvert par la végétation. A l'intérieur d'une maison de retraite, tout était resté sens dessus dessous : les objets, les dossiers, les médicaments et les couches, tandis qu'au tableau étaient encore inscrits les menus du 11 mars. On réalisait que les pensionnaires avaient dû être évacués dans une extrême précipitation. Dans une école élémentaire également, tout avait été abandonné sur place : des cartables, du matériel pour la peinture, des dictionnaires sur leur pupitre en bois, des vélos renversés avec leur casque... Aucun bruit : seul le chant des cigales enveloppait cette scène figée. La vie humaine s'était déroulée ici avant l'accident nucléaire : mais maintenant, il n'y a plus personne. Certains lieux sont encore aujourd'hui condamnés de la sorte.
Même dans les zones où les directives d'évacuation ont été levées, peu d'habitants reviennent y vivre. Ceux qui ont dû abandonner leur maison ont été ensuite tenus de la démonter à cause de la radioactivité. J'ai vu de vieux bâtiments ou des portes démontés, datant peut-être de l'époque d'Edo, qui étaient dignes d'un patrimoine historique. Tout près de là, dans un petit périmètre d'agglomération que le gouvernement a décontaminé pour y lever les directives d'évacuation, ont été construits des "logements de reconstruction" où vivent des familles avec enfants. Des ménages venant en majorité d'autres départements, attirés par les aides du gouvernement, y ont emménagé. D'après un nouvel habitant, le niveau de la radioactivité dans sa maison est de 0,3 micro Sievert par heure, une valeur 5 à 10 fois supérieure au chiffre d'avant l'accident. De l'autre côté de la rue, est posée une barrière qui délimite la zone interdite d'habitation. On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un environnement sain pour vivre et élever des enfants.
Récemment, le gouvernement japonais a élaboré son 7e plan de base d'énergie, dans lequel il a abandonné le principe de réduction de la part du nucléaire. Contrairement aux années qui ont suivi la catastrophe, il veut maintenant relancer le nucléaire. C'est un choix d'une bêtise sans nom, incompréhensible. Car d'une part, la centrale accidentée ne cesse d'engendrer, encore aujourd'hui, de nombreux problèmes. Et d'autre part, le grand séisme survenu en janvier 2024 dans la péninsule de Noto a mis en évidence l'insuffisance, voire l'inexistence du dispositif d'urgence d'évacuation des populations, si un accident nucléaire se produisait à la suite d'un grand séisme dans des zones plus enclavées.
Concernant les procès intentés par de nombreuses victimes pour obtenir des indemnités et déterminer la responsabilité de l'État et de l'opérateur TEPCO dans l'accident, la Cour suprême a rendu en 2022 un verdict qui exonère l'État de sa responsabilité. Or, un journaliste a mis en lumière, par la suite, l'existence d'une collusion entre des juges de la Cour suprême et l'opérateur TEPCO. La justice japonaise est donc dans une situation de partialité. Concernant les autres procès de victimes de Fukushima encore en jugement, comme les juges se réfèrent à la jurisprudence de la Cour suprême, l'issue risque d'être défavorable aux victimes.
Quant à la centrale accidentée, TEPCO a communiqué en novembre dernier être parvenu à récupérer 0,7 grammes de débris (du combustible fondu refroidi). Mais cette opération a révélé au grand jour les conditions inhumaines imposées aux intervenants, dans un environnement où le niveau de la radioactivité est extrêmement élevé. On a découvert à cette occasion la négligence de TEPCO dans l'organisation du travail, car il a entièrement délégué à un sous-traitant une étape importante de la récupération de ce débris sans exercer la moindre surveillance. Maintenant, tout le monde sait que la fin du démantèlement prévue pour 2051 est irréalisable. Mais TEPCO n'envisage pas de revenir sur son calendrier. Il faudrait pourtant qu'il reporte certaines opérations jusqu'à la baisse suffisante du niveau de la radioactivité.
TEPCO et le gouvernement japonais ont commencé, depuis août 2023, à déverser dans la mer l'eau radioactive de Fukushima Daiichi, malgré les protestations de la population. Aujourd'hui, ils envisagent sérieusement de disperser les terres contaminées de Fukushima en les ré-incorporant dans des sols non-contaminés. Cette opération est qualifiée de "recyclage pour la reconstruction". Et nous assistons au déploiement de la propagande officielle, en particulier envers la jeune génération, du mythe de l'innocuité de la radioactivité, qui cherche à inculquer des arguments présentés comme "justes scientifiquement". En réalité, ce sont ceux promus par le gouvernement et les lobbies nucléaires.
Ainsi, le long de la côte de Fukushima vidée de ses habitants, ont été construits des centres de recherche et des bureaux d'entreprises de technologies de pointe, financés par le budget énorme de la reconstruction. Avec le slogan mis en avant de la "reconstruction", ces projets tiennent-ils compte des besoins véritables des victimes? Rien n'est moins sûr.
Un accident nucléaire dévaste la vie des gens et leur terre natal, et leurs droits humains sont piétinés. Constatant cette réalité désolante de Fukushima 14 ans après l'accident, je peux difficilement me projeter dans l'avenir.
Pourtant, chaque année le printemps arrive. Malgré l'époque d'incertitude dans laquelle nous avançons, nous nous efforcerons de toujours garder un regard lucide pour rechercher la vérité, tout en nous nourrissant de la beauté du monde. Ami-e-s, soyons solidaires, et continuons de lutter ensemble pour un monde meilleur sans le nucléaire.
Fukushima, mars 2025
Ruiko MUTÔ
déléguée de la partie plaignante du procès pénal contre les dirigeants de TEPCO
http://kokuso-fukusimagenpatu.blogspot.com/p/blog-page_5112.html
déléguée du comité de liaison des groupes de victimes de l'accident
(traduction française: yosomono-net France)